jeudi 23 février 2012

Mademoiselle chante le flouze



Le temps des écrits est venu et puis s'en est allé, et j'en ai vu passer le train depuis mon vert pâturage, hébétée de fatigue et de stupeur, triste et soulagée de n'y avoir pas participé.

J'ai vu les commentaires fuser sur les nombres de places accordées, à l'interne, à l'externe, sur l'influence de la condensation des différentes épreuves sur un seul jour. Et j'ai pensé à toutes ces savantes statistiques que j'ai pû moi-même calculer les précédentes années. En fonction de mon âge, de mes études, de ma région, anciennement des options choisies, qu'elles étaient mes chances d'être reçue ? Combien seraient admis sur cette interminable rangée de tables, combien pour toute cette salle d'examen ? Combien d'ennemis à abattre, combien de futurs collèges, combien d'amis ? Combien d'années avant de pouvoir tenter l'interne ?

Tout ce que ces questions m'inspirent désormais, c'est une sensation de privilège indû, de chance incroyable. Le privilège, la chance de devenir fonctionnaire, de pouvoir voir l'avenir plus sereinement que beaucoup trop de gens, de savoir mon salaire assuré pour tous les mois de toutes les prochaines années, et de le voir augmenter année après année, sans possible discrimination. Oui, c'est vrai ça, mes collègues BAS masculins sont payés selon la même grille sariale que moi, nous auront donc le même salaire en fin de carrière, après avoir grimpé uns à uns les échelons de notre merveilleuse fonction publique.

Mais est-ce bien vrai, sera-ce bien le cas ? Hmm, cela mérite quelques instants de réflexion. Hier soir encore, au journal télévisé, le présentateur rappelait que les femmes sont payées en moyenne 20% de moins que les hommes. Un chiffre brut de décoffrage, sans explications ni pédagogie, qui pourrait me conduire à penser que, non, je ne suis pas concernée, que grâce à mon concours et à ma future titularisation, je suis à l'abri de telles discriminations.

Et pourtant, voici ce que Pujadas a omis de dire : c'est que, dans quelques années, je finirais bien par me mettre en ménage, par procréer, par m'attacher à ma progéniture. Et ce que les statistiques racontent, c'est qu'il y a de fortes chances pour que ce soit moi qui m'occupe le plus des petits, pour que ce soit moi qui soit le plus tentée par un temps partiel, voire par un congé parental, parce que leurs premières années sont précieuses et qu'elles filent, parce que c'est mieux pour eux de ne pas être constamment chez la nounou, j'en passe et des meilleures. Je veux bien, pourquoi pas, c'est sûrement plus sympa de grandir avec des parents disponibles. Mais combien de pères envisagent ces options pour eux-mêmes plutôt que pour leur co-parent ?

Oui, bien sûr, il y en a quelques uns, des pères au foyer, oui bien sûr, la société a changé, bien sûr en France on a la chance incroyable d'avoir des crèches qui nous permettent de ne plus choisir entre tout et rien, entre la femme d'affaires et la mère au foyer. Mais pourquoi les chiffres, eux, indiquent-ils que la situation reste largement défavorable aux femmes, dès qu'elles ont enfanté ?

C'est que les croyances collectives ont la vie dure, que nous sommes tous si bien conditionnés, que nous reproduisons et transmettons ce comportement à l'infini, de poupées en petites voitures, d'études littéraires en diplômes de sciences de la matière, de faibles choses empêtrées dans les kilos de leurs sacs à mains en héros ouvreurs de bocaux. Un conseil les filles : pour ouvrir un bocal récalcitrant, il suffit de lui taper fort au cul avec le plat de la main. No man needed here.

Alors voilà, toutes ces choses avec lesquelles on vit sans y penser, ce sont des violences symboliques, nécessaires pour maintenir l'ordre établi, les hiérarchies existantes et les femmes au foyer. Est-ce plus grave que la faim dans le monde ou l'épidémie de Sida ? Non bien sûr. Mais le "mademoiselle" ne me manquera pas.


Licence Creative CommonsPhoto : prise par moi-même à Amiens en mars 2011.
Cette photo est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 Générique.

2 commentaires:

  1. Je découvre ton blog par ce billet, et j'en suis bien contente ! On en a déjà fait des tonnes sur le sujet, mais je le trouve très juste. Merci pour cette lecture :)

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  2. Merci de m'avoir lue :) Je te souhaite une très belle journée !

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