C’est la troisième année que je
me rends au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil et
c’est toujours un vrai plaisir. J'ai commencé sans rien connaître
de cette littérature particulière que mes souvenirs d'enfant et
j'ai découvert avec émerveillement sa diversité et la qualité
immense de certains de ses ouvrages. C'est donc avec d'autant plus
d'intérêt que je profite de toutes les occasions pour en apprendre
plus sur ce champs particulier de l'édition française.
Cette année, j’ai assisté à
deux conférences particulièrement intéressantes : « Quand les éditeurs de jeunesse soufflent leurs
bougies ! » avec Emmanuelle Beulge de Sarbacane,
Christine Morault de MeMo, François David de Motus et Natacha
Derevitsky de Pocket Jeunesse ; et « Quels livres fait-on
lire à l'école maternelle ? » avec Stéphane
Bonnéry (maître de conférences en sciences de l'éducation à
Paris 8) et Francette Popineau (secrétaire nationale SNUipp-FSU et
professeure des écoles).
Ce qui suit n’est pas une
retranscription mot à mot de ce qui s’y est dit, mais un
« mash-up » d’une partie de mes notes prises au cours
de ces deux conférences sur le thème (assez large) de l’album
jeunesse et de son accessibilité pour son public cible : les
enfants.
L'édition jeunesse aujourd'hui
Les éditeurs de la table ronde
étaient tous d’accord sur au moins un point : le papier peut
être contemporain et les livres sont des objets actuels. L’une des
caractéristiques importantes de l’album, c’est sa matérialité :
ce n’est pas qu’une histoire, c’est un objet et son format
importe. Pour Memo ou Sarbacane par exemple, faire un objet de
qualité est un objectif important car cette qualité matérielle
touche directement le petit enfant.
Il semblerait d’ailleurs que,
d’après les indicateurs américains, le livre numérique
commencerait à stagner. En France, d’après le SNE, il ne
représenterait toujours que 2 ou 3% des parts de marché. Le livre
papier reste donc primordial, en particulier du côté des albums.
D’autre part, la période étant
économiquement charnière, la question, pour les éditeurs
indépendants, est de ne pas surproduire : chaque livre doit
être indispensable. Chaque album fait donc l’objet d’une
recherche de création, on porte une grande attention à
la qualité artistique, on cherche à aborder des thèmes importants,
éventuellement avec humour. Chez Sarbacane, le texte prend aussi une
place toute particulière car ses éditeurs considèrent qu’il
s’agit du « parent pauvre » de l’album et essayent de
le mettre en avant. Le marché français s'avère divers et animé,
avec de nombreux éditeurs idéalistes, ce qui est possible car il
s’appuie sur une politique de lecture.
On peut remarquer que les albums « complexes » (illustrations ambitieuses, trames narratives complexes) produits aujourd'hui par les éditeurs indépendants témoignent particulièrement de l'évolution de la littérature jeunesse par rapport aux « livres d'images » (où l'image ne faisait qu'illustrer le texte) du siècle dernier.
Au final, si le fond et l’image
sont intéressants, il ne devrait pas y avoir de limite d’âge pour
lire un album. [Ce avec quoi je suis particulièrement d’accord…
Allez donc demander à votre bibliothécaire jeunesse le plus proche
ses albums préférés, il y a de vrais perles : de vrais
ouvrages d'art avec des histoires intelligentes et bien dites.] Chez
Sarbacane, il y a d’ailleurs des collections d’albums pour une
large gamme d’âges, de la naissance à 12-14 ans. Cet éditeur
cherche à ce que ses albums soient accessibles à tous, avec une
certaine simplicité au premier abord, mais aussi plusieurs strates
en dessous, afin que chacun puisse y trouver son compte.
Une littérature accessible pour son public cible ?
Cette question de l’accessibilité
est au cœur du travail de recherche de Stéphane Bonnéry. En effet,
l’appropriation des ouvrages les plus complexes par les enfants
n’est en fait pas spontanée. Elle repose principalement sur
l’éducation familiale. Aborder la littérature jeunesse nécessite
une gradation : les albums complexes demandent à l’enfant de
maîtriser un certain nombre de pré-requis. Par exemple, pour que le
loup « revienne » avec Geoffroy de Pennard, il faut
d’abord savoir qu’il est parti.
Avant, la situation des livres
jeunesse dans les familles se décrivait en plein ou en vide :
il y avait ou non accès à cette littérature. Aujourd’hui, il y a
des livres dans la plupart des familles, mais il reste une forte
disparité quantitative : entre 1 et 3 livres jeunesse dans les
familles de certaines catégories sociales, opposés à plus de 300
dans des familles d’enseignants ou de bibliothécaires. Mais il y a
surtout une différence qualitative : dans les familles
« populaires », on trouve des albums dits « simples »
(une trame narrative simple, un rapport texte - image redondant et un
enchaînement narratif linéaire), patrimoniaux (contes) et parfois
un abonnement à une revue enfantine. Dans les familles
« cultivées », on retrouvera par contre à la fois des
albums simples et des albums complexes.
Y aurait-il une fracture numérique
à l’envers ? Des livres qu’on ne retrouverait que chez ceux
dont les parents ont pu les apporter ?
Une chose est sûre : en
France, 57% des élèves ont pour parent référent un ouvrier,
employé, chômeur ou agriculteur. Si l’école ne fait pas
découvrir la diversité des formes de lectures, ce n’est pas dans
les familles que cela se fera.
Alors qu’en est-il à l’école ?
On découvre encore des disparités. Au cycle 1, en ZEP, les albums
utilisés sont principalement des récits de vie quotidienne qui sont
surtout utilisés pour travailler le vocabulaire. Hors ZEP, dès le
cycle 1, les enfants étudient les contes traditionnels, des
contenus patrimoniaux forts. Ils font déjà de la littérature en
cherchant les indices sémiotiques du texte et en en faisant des
analyses simples. En ZEP, ces choses-là ne seront abordées qu'au
cycle suivant. Au final, ce décalage se reportera tout au long de la
scolarité.
Quelles solutions pour remédier à
ce décalage ? Désormais, les enseignants de maternelle pourront s'appuyer sur
une nouvelle liste d'ouvrages recommandés pour le cycle 1. Mais une telle liste est-elle vraiment suffisante ? Stéphane Bonnéry regrette qu'il n'existe pas (encore ?) une base
de données dans laquelle les enseignants pourraient piocher pour
exploiter au mieux ces ouvrages avec les enfants.
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