mercredi 18 décembre 2013

Albums jeunesse : des éditeurs aux enfants


C’est la troisième année que je me rends au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil et c’est toujours un vrai plaisir. J'ai commencé sans rien connaître de cette littérature particulière que mes souvenirs d'enfant et j'ai découvert avec émerveillement sa diversité et la qualité immense de certains de ses ouvrages. C'est donc avec d'autant plus d'intérêt que je profite de toutes les occasions pour en apprendre plus sur ce champs particulier de l'édition française.
Cette année, j’ai assisté à deux conférences particulièrement intéressantes : « Quand les éditeurs de jeunesse soufflent leurs bougies ! » avec Emmanuelle Beulge de Sarbacane, Christine Morault de MeMo, François David de Motus et Natacha Derevitsky de Pocket Jeunesse ; et « Quels livres fait-on lire à l'école maternelle ? » avec Stéphane Bonnéry (maître de conférences en sciences de l'éducation à Paris 8) et Francette Popineau (secrétaire nationale SNUipp-FSU et professeure des écoles).
Ce qui suit n’est pas une retranscription mot à mot de ce qui s’y est dit, mais un « mash-up » d’une partie de mes notes prises au cours de ces deux conférences sur le thème (assez large) de l’album jeunesse et de son accessibilité pour son public cible : les enfants.

L'édition jeunesse aujourd'hui

Les éditeurs de la table ronde étaient tous d’accord sur au moins un point : le papier peut être contemporain et les livres sont des objets actuels. L’une des caractéristiques importantes de l’album, c’est sa matérialité : ce n’est pas qu’une histoire, c’est un objet et son format importe. Pour Memo ou Sarbacane par exemple, faire un objet de qualité est un objectif important car cette qualité matérielle touche directement le petit enfant.
Il semblerait d’ailleurs que, d’après les indicateurs américains, le livre numérique commencerait à stagner. En France, d’après le SNE, il ne représenterait toujours que 2 ou 3% des parts de marché. Le livre papier reste donc primordial, en particulier du côté des albums.
D’autre part, la période étant économiquement charnière, la question, pour les éditeurs indépendants, est de ne pas surproduire : chaque livre doit être indispensable. Chaque album fait donc l’objet d’une recherche de création, on porte une grande attention à la qualité artistique, on cherche à aborder des thèmes importants, éventuellement avec humour. Chez Sarbacane, le texte prend aussi une place toute particulière car ses éditeurs considèrent qu’il s’agit du « parent pauvre » de l’album et essayent de le mettre en avant. Le marché français s'avère divers et animé, avec de nombreux éditeurs idéalistes, ce qui est possible car il s’appuie sur une politique de lecture.
On peut remarquer que les albums « complexes » (illustrations ambitieuses, trames narratives complexes) produits aujourd'hui par les éditeurs indépendants témoignent particulièrement de l'évolution de la littérature jeunesse par rapport aux « livres d'images » (où l'image ne faisait qu'illustrer le texte) du siècle dernier.
Au final, si le fond et l’image sont intéressants, il ne devrait pas y avoir de limite d’âge pour lire un album. [Ce avec quoi je suis particulièrement d’accord… Allez donc demander à votre bibliothécaire jeunesse le plus proche ses albums préférés, il y a de vrais perles : de vrais ouvrages d'art avec des histoires intelligentes et bien dites.] Chez Sarbacane, il y a d’ailleurs des collections d’albums pour une large gamme d’âges, de la naissance à 12-14 ans. Cet éditeur cherche à ce que ses albums soient accessibles à tous, avec une certaine simplicité au premier abord, mais aussi plusieurs strates en dessous, afin que chacun puisse y trouver son compte.

Une littérature accessible pour son public cible ?

Cette question de l’accessibilité est au cœur du travail de recherche de Stéphane Bonnéry. En effet, l’appropriation des ouvrages les plus complexes par les enfants n’est en fait pas spontanée. Elle repose principalement sur l’éducation familiale. Aborder la littérature jeunesse nécessite une gradation : les albums complexes demandent à l’enfant de maîtriser un certain nombre de pré-requis. Par exemple, pour que le loup « revienne » avec Geoffroy de Pennard, il faut d’abord savoir qu’il est parti.
Avant, la situation des livres jeunesse dans les familles se décrivait en plein ou en vide : il y avait ou non accès à cette littérature. Aujourd’hui, il y a des livres dans la plupart des familles, mais il reste une forte disparité quantitative : entre 1 et 3 livres jeunesse dans les familles de certaines catégories sociales, opposés à plus de 300 dans des familles d’enseignants ou de bibliothécaires. Mais il y a surtout une différence qualitative : dans les familles « populaires », on trouve des albums dits « simples » (une trame narrative simple, un rapport texte - image redondant et un enchaînement narratif linéaire), patrimoniaux (contes) et parfois un abonnement à une revue enfantine. Dans les familles « cultivées », on retrouvera par contre à la fois des albums simples et des albums complexes.
Y aurait-il une fracture numérique à l’envers ? Des livres qu’on ne retrouverait que chez ceux dont les parents ont pu les apporter ?
Une chose est sûre : en France, 57% des élèves ont pour parent référent un ouvrier, employé, chômeur ou agriculteur. Si l’école ne fait pas découvrir la diversité des formes de lectures, ce n’est pas dans les familles que cela se fera.
Alors qu’en est-il à l’école ? On découvre encore des disparités. Au cycle 1, en ZEP, les albums utilisés sont principalement des récits de vie quotidienne qui sont surtout utilisés pour travailler le vocabulaire. Hors ZEP, dès le cycle 1, les enfants étudient les contes traditionnels, des contenus patrimoniaux forts. Ils font déjà de la littérature en cherchant les indices sémiotiques du texte et en en faisant des analyses simples. En ZEP, ces choses-là ne seront abordées qu'au cycle suivant. Au final, ce décalage se reportera tout au long de la scolarité.
Quelles solutions pour remédier à ce décalage ? Désormais, les enseignants de maternelle pourront s'appuyer sur une nouvelle liste d'ouvrages recommandés pour le cycle 1. Mais une telle liste est-elle vraiment suffisante ? Stéphane Bonnéry regrette qu'il n'existe pas (encore ?) une base de données dans laquelle les enseignants pourraient piocher pour exploiter au mieux ces ouvrages avec les enfants.

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